Dinah

CULTE du 2 mars 2025 à Lucerne

Genèse 34 Job 31, 4-8 Matthieu 27, 11-26

DINA

Connaissez-vous l’histoire de Dina, fille de Léa et de Jacob ? La seule fille connue du patriarche ! D’ailleurs on n’en aurait jamais parlé si son histoire avait été ‘sans histoire’. Cette toute jeune fille a déclenché malgré elle une vendetta, un massacre systématique, un génocide avant la lettre…

Oui, la Bible contient des histoires d’amour impossible, à l’instar de Roméo et Juliette, des histoires dramatiques. Voilà l’histoire de deux êtres qui s’aiment, mais dont l’amour sera broyé par des rivalités de clans…

Ce récit, inséré au cœur de la Genèse, n’a, étonnamment, pas été censuré. Dans cet épisode, il faut bien remarquer que Jacob et ses deux fils n’apparaissent pas sous un jour très reluisant, c’est le moins qu’on puisse dire !

Dans nos livres d’histoire, les auteurs, souvent, embellissent des situations historiques, en faveur de tel ou tel pays. Ainsi, actuellement la guerre en Ukraine, est traitée très différemment, selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre.

Ainsi je me souviens de ‘fake news’ (terme consacré venant de l’Anglais signifiant tout simplement ‘fausse nouvelle’) qui allaient jusqu’à prétendre que c’était l’Ukraine qui, avec l’aide de l’OTAN, avait envahi la Russie.

C’est une des forces de la Bible que d’oser dire la vérité, même si elle n’est pas avantageuse pour nos lointains ancêtres, dont la conduite inadmissible, a amené à des condamnations ultérieures, en particulier un antisémitisme récurant, qui, malheureusement, émerge à nouveau, de ci et de là, surtout depuis le 7 octobre 2023 !

La Bible autorise l’autocritique d’un peuple et on aimerait bien que le gouvernement actuel, en Israël, s’en inspire un peu.

Nous Chrétiens du XXIème siècle, nous aimerions bien que la Vérité guide nos actes, c’est-à-dire que nous soyons capables de discerner le vrai du faux !

Revenons à Dina : une femme qui se tait et des hommes qui parlent et qui exécutent… Dans une quête de vérité, le récit de Genèse 34 est d’une richesse explosive. Voici deux pistes de lecture :

1. La première nous montre un décalage, un abîme entre Dina et les hommes. Dans le récit elle est muette, alors que les hommes parlementent et agissent.

Tout se passe comme si elle n’était qu’un objet, un prétexte à des règlements de compte. Elle n’a pas droit au chapitre, ce sont les hommes qui décident pour elle. Même dans sa relation avec Sichem, c’est lui qui prend l’initiative et pas rien qu’un peu ! Le texte est clair sur ce point : « Sichem, fils d’Hamor, le Hivvite, la voit, la prend, la couche sur le gazon et la déflore, pour ne pas dire viole. »

Le texte est étrangement silencieux à propos de Dina. Il nous parle plutôt des sentiments de Sichem : « Il veut attacher sa vie à celle de Dina, il est vraiment amoureux, il parle au cœur de la jeune-fille. Ce n’est pas comme avec Tamar la fille de David, où Amnon, après avoir tiré son coup, la déteste du plus profond de son être (2 Sam 13).

Même s’il a fait l’amour avant le mariage, Sichem veut épouser Dina, mais des sentiments de Dina, on n’en saura jamais rien !

Nous sommes dans un univers où les femmes n’ont rien à dire, un univers patriarcal d’il y a 4000 ans et pas seulement. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Afghanistan, aujourd’hui, où les filles sont voilées et cloîtrées dans leurs familles, interdites d’école et de travail.

Calvin, lui-même a fustigé l’attitude de Dina : « Dina est ravie et violée parce qu’elle a délaissé la maison de son père, elle s’est écartée et a vaqué à des occupations indignes d’une jeune-fille honnête… »

Même Paul (Tite 2,5) déclare qu’elle aurait dû demeurer sagement à la maison.

Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, nous pouvons aussi prendre la démarche de Dina, pour ce qu’elle est. Au XXIème siècle, nous osons affirmer que Dina part simplement à la découverte du Monde. Elle ouvre ses yeux sur la Vie avec un grand V. Elle va voir les filles du pays. Quel mal y a-t-il à cela ?

Dans cette tragique histoire, Dina est doublement victime ! Non seulement Sichem, l’homme de sa vie, est assassiné, mais elle devra retourner vivre avec ses frères justiciers. Et on imagine mal Dina, muette de révolte, face à Siméon et Lévi, convaincus d’avoir agi « pour son bien ».

Et Dina, n’est pas la seule victime ! Que dire des femmes de Sichem, (Sichem étant, à la fois, le nom de l’amoureux et le nom de la tribu) qui se retrouvent veuves avec leurs enfants, après le nettoyage ethnique de tous les mâles.

On a beau dire que c’est une vieille, très vieille histoire, mais regardons autour de nous, aujourd’hui, en Iran, en Syrie, au Yémen, en Ukraine, tous ces jeunes hommes tués pour des opinions divergentes ou pour un terrain, pour ne pas dire un pays, laissant des familles détruites qui demandent asile chez nous. On ne peut que respecter leur douleur et avoir un peu de compassion !

2. Voici une 2ème piste de lecture : Des hommes qui mettent l’honneur au-dessus de la dignité : Tout cela parce qu’il y a eu palabre entre des hommes : il y a eu une sorte de négociation où se disputent la bonne conscience et la mauvaise foi. Ils ont transformé une histoire d’amour en une affaire d’honneur. Et quand l’honneur s’en mêle, la catastrophe n’est pas loin !

L’honneur ! Encore une invention des mâles pour camoufler une fierté mal placée, pour travestir en idéaux glorieux le refus de reconnaître ses propres faiblesses. On préfère perdre des vies plutôt que perdre la face !

Honneur, idole suprême qui fait taire notre Dina, qui mobilise une armée de gamins, qui divise les familles…

Gardez votre honneur, Messieurs, et laissez–nous simplement quêter un peu de dignité, rendez-nous l’essentiel. L’honneur peut être mal placé, la dignité jamais. Nous sommes maintenant au cœur de l’Evangile. Les pharisiens défendent l’honneur de la Torah, les prêtres l’honneur du temple, Pilate l’honneur de Rome.

Quant à Jésus, il n’a pas d’honneur à défendre, il prend simplement position pour que nous accordions un peu de dignité aux ‘petits’, aux faibles, aux démunis, aux réfugiés, aux étrangers…

C’est ce qui rend notre Christianisme à la fois si simple à comprendre et si difficile à appliquer. « Aime ton prochain comme toi-même ! »

Quel programme ! Voilà ce que je vous propose pour l’entrée dans le temps de Carême ou de la Passion mercredi prochain, car, pour nous Chrétiens, la DIGNITE EST LA CLEF DE BASE pour toute relation humaine, et c’est ce que Jésus désire nous rappeler ce matin !

Amen