En suivant l’étoile

Matthieu 2:1-12 – Prédication du 8 janvier 2023

Sous la conduite d’une nouvelle et brillante étoile, ils étaient venus de pays lointains pour adorer le roi nouveau-né qu’elles annonçaient pour l’adorer et lui présenter leurs offrandes. C’étaient des « μάγοι », nous dit le texte grec : des mages donc et non des rois. Mais qu’est-ce qu’au juste un mage ? Eh bien, ce sont des « magiciens », des astrologues sans doute, des experts en tous cas de pratiques, d’une science et d’une religion païenne dont la tradition biblique à maintes reprises nous met en garde.

En fait, le texte biblique ne dit pas qu’ils étaient trois. Mais ce n’est pas par hasard que la tradition ultérieure en a fait trois et en a fait des rois : Gaspar, Melchior et Balthasar. Et ce n’est pas par hasard que l’un des trois est noir. A eux trois, en effet, ils représentent symboliquement les trois continents connus à l’époque : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Ainsi dans leur venue, la tradition a vu se réaliser toutes ces anciennes prophéties – nous en avons lu une tout à l’heure – qui annonçaient que des princes de toutes les nations afflueraient à Jérusalem avec leurs dons et leurs richesses pour se rallier à Dieu et au roi qu’il installerait et qu’ainsi un royaume de justice et de paix serait établi sur la terre entière. C’était là une vision magnifique, mais plus encore une vision d’une hardiesse presque inouïe. De tous ceux qui ne demandent qu’à suivre tranquillement leurs petites habitudes religieuses de toujours elle exige un changement radical de perspectives. Et ceci pas seulement l’époque de Jésus-Christ, mais aujourd’hui encore.

Imaginez : Voici donc que ces magiciens païens devancent tous ces grands-prêtres et maîtres de la loi rassemblés à Jérusalem.  Eux, les représentants de religions païennes, pressentent que des événements décisifs sont en train de se passer, alors que tous ces théologiens dûment formés et légitimement consacrés dans la vraie religion, ne s’étaient encore rendu compte de rien. Ils savent, que le Messie naîtra à Bethlehem, mais – alors même que les mages leur font part de leur découverte – pas un ne réalise que les anciennes prophéties sont en train de se réaliser.

Jésus par contre, lorsque les mages enfin parviennent jusqu’à lui, Jésus ne se détourne pas de ces païens. Il accepte ce qu’ils lui offrent, il reçoit les richesses de leur culture, de leur science et de leur religion. Et Dieu de même n’appelle pas les mages à demeurer dans le pays et à devenir de bons juifs. Non, il les revoie chez eux, dans leurs pays lointains et païens, certes mûris et transformés intérieurement par ce qu’ils auront vécu au cours de leur pèlerinage, mais toujours astrologues et païens sans doute.

Ce que ce récit préfigure symboliquement, la première communauté chrétienne a bientôt trouvé le courage de le réaliser : elle a résolument et largement ouvert la portes à toutes les richesses, à tous les dons, à toutes les intuitions que Dieu a donné aux hommes d’autres nations, d’autres cultures et d’autres religions que la seule culture et religion juive. Et ce n’est sans doute que ce formidable élargissement de leur horizon qui a permis aux chrétiens de ne pas rester une simple secte juive, mais de devenir une communauté nouvelle et durable à l’échelle mondiale.

De nos jours aussi, la question des relations entre cultures et religions se pose à nouveau, de façon nouvelle et urgente. Durant des siècles, les grandes religions de ce monde ont vécu presque sans contacts entre elles. Chacune demeurait cantonnée dans une certaine région du monde où elle était largement majoritaire et n’avait pas à réellement se préoccuper des autres. Mais aujourd’hui, sous l’effet ce formidable mélange de populations qu’a entrainé la globalisation, les contacts entre les religions sont devenus de plus en plus fréquents, et il n’est plus guère possible de s’ignorer mutuellement. Aujourd’hui en Suisse, les musulmans sont déjà les troisièmes en nombre après les catholiques et les protestants et leur nombre va sans doute encore s’accroitre durant les prochaines décennies. D’autre part une vague d’ésotérisme, souvent inspirée par les religions de l’Orient, a apporté, ces dernières années, de nouvelles formes d’expériences religieuses et un nombreux sont ceux qui se sentent attirés par l’une ou l’autre d’entre elles.

Tout cela fait que les Eglises chrétiennes ne pourront pas éviter de reconsidérer sérieusement, ces prochaines années, leur position face à toutes ces religions. Ce sera là une tâche difficile et délicate qui demandera beaucoup de temps et de doigté. Mais il me semble que le récit de ces astrologues païens qui viennent adorer Jésus peut déjà nous fournir quelques indications de base.

Tout d’abord, il nous faut demeurer conscients que l’Esprit de Dieu soufflera toujours là où il le veut. Jamais il n’acceptera de s’en tenir aux seuls canaux que nous voudrions lui prescrire. Toujours à nouveau, par exemple, il arrivera que des hommes et des femmes d’autres religions ou même des incroyants nous soient des exemples par l’authenticité de leur amour de Dieu ou par leur engagement envers leur prochain. Non seulement alors c’est avec grand respect que nous les rencontrerons, nous aurons de plus tout avantage à les laisser nous interpeler et nous inviter à dépasser notre train-train religieux et nous remettre en chemin pour offrir au Christ les dons et les possibilités qui sont les nôtres.

Cela ne veut pas dire qu’il nous faudrait imiter ou adopter aussitôt tout ce qui nous paraît nouveau, exotique ou fascinant dans ce que vivent les autres. Même si Jésus a toujours à nouveau parlé avec une grande admiration et un profond respect de la foi de telle femme samaritaine ou de tel officier païen, il n’en est pas moins resté juif jusqu’au bout, et ce malgré son regard souvent si critique face à la pratique de la religion juive de son temps. Celui qui change de route à tout croisement n’ira pas bien loin et qui se croit obligé de tout essayer restera toujours un débutant.

Finalement, comme nous avons toujours à nous mesurer nous-mêmes et nos Eglises au message et à l’amour du Christ, ainsi en ferons-nous aussi pour les autres. Là aussi nous aurons parfois à dire un « non » bien clair et décidé lorsque nous y reconnaîtrons un esprit qui est étranger à l’esprit du Christ : un esprit de peur, par exemple, qui fait violence aux hommes au lieu de les mener à leur épanouissement et à leur accomplissement.

Mais souvent nous aurons l’occasion de nous réjouir de tout cœur d’avoir rencontré des frères et de sœurs dont nous ne soupçonnions pas l’existence et dans lesquels Dieu est à l’œuvre avec puissance et authenticité. Alors de telles rencontres deviendront pour les uns comme pour les autres l’occasion d’une grande joie. Et, chacun à sa manière, nous nous mettrons à louer Dieu parce que de nos jours aussi il nous laisse entrevoir quelque chose de ce royaume réellement universel d’amour et de joie que le Christ est en train de construire parmi nous.                                                                                         Amen.

Lucerne, le 8 janvier 2023                                     Claude Fuchs, pasteur