Une grande journée pour Jésus, un jeune homme plein de sagesse. (Luc 2.41-52)

Une grande journée pour Jésus, un jeune homme plein de sagesse. (Luc 2.41-52)

Grâce à l’évangile de Luc, nous connaissons un épisode, un seul, de la jeunesse de Jésus. Mais c’est vrai que le phénomène, que nous pouvons constater à propos des récits de la naissance de Jésus, se reproduit ici. Très tôt dans l’histoire de l’Eglise, un certain nombre de personnes ont inventé beaucoup de choses à propos de la naissance de Jésus et ces mêmes personnes, ou d’autres, ont voulu savoir également beaucoup de choses à propos de l’enfance de Jésus. Il en est résulté plusieurs textes fantaisistes qui ne sont pas dans la Bible. Ces récits légendaires ont cependant laissé des traces dans la culture générale du public et dans la piété populaire, si bien que leur influence diffuse ne nous facilite pas toujours une juste compréhension des récits bibliques.

Luc est le seul des évangiles à nous transmettre un récit concernant la jeunesse de Jésus et il n’a pas jugé utile de nous donner d’autres indications sur la vie de Jésus entre sa naissance et le moment où, vers l’âge de trente ans, il a commencé à annoncer le royaume de Dieu (3.23). Ce qu’il veut nous raconter, c’est moins une histoire touchante qu’un moment significatif dans la vie de Jésus. Et un contresens que l’on fait souvent, c’est de voir ici en Jésus un enfant phénoménal, un petit prodige qui enseignerait les « Docteurs de la Loi ». A douze ans, Jésus n’était plus un enfant, puisque c’était justement l’âge auquel on devenait majeur dans le peuple d’Israël. Luc ne nous raconte donc pas un épisode un peu attendrissant sur Jésus enfant; il nous parle du moment où il atteint sa majorité et où il participe pour la première fois à une fête de la Pâque comme le demandait la Torah, la Loi de Moïse. C’est bien en tant qu’adulte que Jésus vient à Jérusalem et participe à cette fête; ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas déjà quelques fois accompagné ses parents à la fête les années précédentes. Ainsi entre la naissance de Jésus et son entrée dans le ministère, un seul moment est rappelé, celui de son passage à l’âge adulte.

Jésus a intensément et pleinement vécu cette fête de la Pâque. Elle lui parlait de ce que Dieu avait entrepris pour sauver son peuple du temps de Moïse, elle rappelait la libération de la ser­vitude, servitude de l’Egypte, mais aussi servitude du mal. Jésus revivait ces événements avec son peuple; il entendait dans la Parole de Dieu les vieux récits de l’Exode, il a mangé le repas de la Pâque. Quelle impression cela a dû lui faire? Le récit de Luc est trop sobre pour nous permet­tre de répondre à cette question. Mais une chose est certaine: la réponse que Jésus donnera à ses parents au moment où ils le retrouvent montre qu’il a conscience de ce qu’il est, le Fils de Dieu. Et de cette fête de la Pâque, il a déjà perçu le sens profond. Et ce sera justement lors d’une autre fête de la Pâque qu’il donnera sa vie.

Cet épisode témoigne donc comme tant d’autres pages des évangiles de la double réalité de Jésus, vrai Dieu et vrai homme. D’un côté, il est un homme comme les autres, se développant et grandissant, même s’il ne nous est pas fa­cile de comprendre exactement ce que cela signifie pour Jésus de se développer. Jésus a passé par les diverses étapes qui vont de la naissance à la vie d’un homme mûr (43: le mot « enfant » n’est pas le même qu’au verset 40). Il n’a pas seulement fait semblant d’être homme; il l’a été vraiment. Il a partagé la vie de sa famille; il a appris à obéir et à se soumettre. Plus tard, il a appris un métier et il a travaillé de ses mains. On voit aussi qu’il a appris à vivre dans la société; Luc mentionne en effet que Jésus croissait non seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (52). Et il le note précisément au moment où Jésus devient adulte. Comme adulte, Jésus n’est plus seulement dans sa famille; il entre en relation avec son entourage. Ici, ses parents le croient en compagnie de sa parenté ou de ses camarades (44). Ici, il parle avec les « Docteurs de la Loi », il les écoute, il les interroge, il cherche une réponse aux questions qu’ils posent à leur auditoire. Il est prêt à apprendre des autres, ce qui fait aussi partie de son développement.

D’un autre côté, Jésus est conscient d’être dans une relation tout à fait particulière avec Dieu, une relation unique et exceptionnelle. S’il reste à Jérusalem à la fin de la fête au lieu de suivre ses parents, s’il se rend au temple, s’il répond à ses parents d’une façon déroutante pour eux, c’est parce qu’il sait qu’il est le Fils de Dieu et qu’il sait aussi qu’il a une mission précise, une mission qui s’est probablement encore précisée pour lui durant la fête de la Pâque. Il faut qu’il s’occupe des affaires de son Père… Remarquez bien qu’il ne dit pas « notre » Père, mais mon Père; sa relation avec Dieu est unique (cf. Jean 20.17). Ce « il faut » domine sa vie de fils de Dieu; on le retrouve plusieurs fois encore dans l’évangile de Luc et à des moments importants (Luc 4.43; 9.22; 13.33; 24.26, 44). Jésus sait qui il est et il sait aussi qu’il a une mission très particulière à accomplir. Il ne vient pas pour dominer, mais pour servir et pour donner sa vie. Il se consacre à sa tâche. Avec ce « il faut », Jésus ne parle pas d’une sorte de fatalité mécanique et aveugle, mais de l’accomplissement d’un plan de salut. Il sait qu’il est l’Agneau de Dieu, le véritable Agneau de la Pâque (Esaïe 53.7; Jean 1.29, 36; I Pierre 1.19; Apocalypse 5.6, 8, 12-13; 19.7, 9). C’est ce qu’il veut montrer à ses parents anxieux: il ne leur résiste pas, il ne les méprise pas, il veut sim­plement leur montrer le mystère de sa destinée. Marie pouvait bien ne pas comprendre même si elle savait déjà plusieurs choses dès avant sa naissance. Tout était tellement nouveau dans cette affaire. Et l’on voit que la première parole de Jésus qui nous est parvenue touche déjà au mystère de sa personne et de son œuvre de salut.

Cette première apparition de Jésus en public a eu lieu au cours d’une fête, de la plus grande fête d’Israël, qui rappelle la grande délivrance que Dieu a réalisée pour son peuple. Il fallait qu’il en soit ainsi, car cette fête constituait un cadre idéal pour montrer qui est Jésus et ce qu’il est venu faire. Avec ces docteurs de la loi, ils ont certainement parlé de la fête, repris les vieux récits de Moïse et se sont réjouis de l’œuvre de Dieu. Comme Marie et Joseph, nous avons probablement de la peine à bien comprendre; c’est normal que cela nous dépasse. Nous sommes invités à cher­cher, à rester attentifs, à observer Jésus, à lui faire confiance pour comprendre qui il est et ce qu’il a fait pour nous. Nous sommes invités à le chercher, nous aussi, et à le chercher à la bonne place, dans la Parole de Dieu. Amen.

Cette prédication faite le 8 janvier 2006 à Saint-Gall a été retravaillée et reprise le 5 février 2023 pour le culte à l’Eglise française de Lucerne. Il convient donc d’ajouter ici quelques notes.

Notes.

– Psaume choisi pour le début du culte: Psaume 105.1-5, 8. Remarquer aux versets 3 et 4 le mot « chercher »: « Que le cœur de ceux qui cherchent l’Eternel se réjouisse! » et « Cherchez continuel­lement sa face ». Le verbe « chercher » est un élément important du texte retenu pour la prédication dans l’évangile de Luc.

– Bénédiction à la fin du culte selon Ephésiens 6.23-24: « Que la paix vous soit donnée ainsi que l’amour avec la foi de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ. Que la grâce soit avec tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus-Christ d’un amour inaltérable. Amen. Allons en paix. »

– Il peut être utile d’indiquer ici les trois cantiques qui ont été choisis pour ce culte (les numéros sont ceux du recueil « Psaumes et Cantiques »):

      –   40: « Roi des rois, Eternel, mon Dieu, Dans ta maison, je suis heureux »;

      – 265: « Tu es la joie que Dieu m’envoie, Don parfait venu des cieux […] Toi, Jésus, le fils de

                Dieu »;

      – 377: « Le cri de mon âme S’élève vers toi, Ma foi te réclame, Jésus, ô mon roi! ».

– Tout dans le déroulement de la fête de la Pâque, dans la disposition du temple, dans les rites dont le sacrifice des agneaux était le point culminant, tout parlait à Jésus. Il en savait le sens profond; il s’est préparé à accomplir la mission qui était la sienne, mission qu’il accomplira environ vingt ans plus tard dans cette même ville de Jérusalem, au moment de la même fête de la Pâque (Luc 13.33; 22.15; Jean 12.1; 13.1; voir aussi Marc 14.1-2).

– Rien ne distingue encore Jésus de la foule, comme rien ne l’a distingué pendant son enfance, cette enfance que Luc signale simplement en quelques mots (Luc 2.40). Jésus a grandi comme tout autre enfant; il s’est normalement et harmonieusement développé. Il n’a cherché ni à se singulariser, ni à se distinguer des autres. Ainsi, en lui, Dieu sera vraiment proche des êtres humains et il les rejoindra dans leur vie de chaque jour.

– Attention: il ne faudrait pas penser que Luc veuille faire ici de Jésus une sorte d’enfant prodige, ni un génie précoce. Il ne nous dit pas que Jésus serait en train d’enseigner les autres comme il le fera plus tard quand il parcourera tout le pays pour annoncer l’Evangile. Luc nous le montre tout simplement comme un auditeur attentif et réceptif, comme un élève qui écoute, qui pose de bon­nes questions, qui comprend parfaitement ce dont on parle.

– Il faut bien comprendre la réponse que Jésus donne à Marie. Il ne veut pas du tout lui reprocher d’être venue le chercher. Mais ce qu’il lui reproche avec sa question, c’est de l’avoir cherché long­temps et un peu partout, au lieu de tout de suite deviner et penser que Jésus était au temple. En effet, Jésus continue sa question en disant à ses parents: « Ne saviez-vous pas que je devais m’oc­cuper des affaires de mon Père? » En effet, Joseph et Marie, à qui la naissance de Jésus a été indé­pendamment annoncée, auraient dû savoir où le trouver sans avoir à le chercher un peu partout dans la ville (voir Matthieu 1.20-21 pour Joseph et Luc 1.26-38 pour Marie).

– Luc prend soin de préciser après cet épisode à Jérusalem que Jésus était soumis en toutes cho­ses à ses parents. C’est le signe que Jésus a vraiment accepté sa mission, d’être au service de Dieu et au service des hommes. C’est par amour que Jésus a accepté de se soumettre, pour vraiment nous rejoindre, pour vraiment nous apporter la présence, l’amour de Dieu qui délivre encore son peuple comme le rappelle remarquablement bien la fête de la Pâque.

– Enfin, le texte qui a servi de confession de foi (il a été rédigé pour le temps de l’Avent en 1997).

            Il est venu…

            Dieu est venu.

            Il s’était bien annoncé,

            mais les hommes ne l’ont pas vu.

            Ils se souhaitaient un Dieu puissant,

            fort, un Dieu bien visible

            qui fasse l’important

            et qui détruise les méchants.

            Dieu l’avait annoncé:

            en Jésus, il est venu

            ni pour punir, ni pour détruire,

            mais pour guérir, pour sauver,

            pour changer les humains.

            En Jésus, Dieu est venu

            partager notre vie d’hommes.

            Dans la faiblesse et le dénuement,

            sans chercher à nous impressionner.

            A Noël… en Jésus, Dieu est venu;

            comme il l’avait laissé prévoir,

            en Jésus, il est venu… sur la pointe des pieds.