A propos de la Saint-Valentin dimanche passé:
L’AMOUR DE DIEU versus L’AMOUR DU PROCHAIN
Néhémie 5,5-9; Epître à Philémon 8-16 ; 1 Jean 4,7-11
Avant-propos concernant les lectures bibliques :
- Néhémie: Il existe à l’époque en Israël une division profonde entre deux parties de la population. Les uns, érudits, sont rentrés de Babylone, libérés par le roi Cyrus, les autres, restés au pays, ont été asservis par les premiers,
- L’épître à Philémon nous parle de l’esclave de Philémon, Onésime, qui s’est enfui. Pour cela Onésime risque la mort et Paul tente d’intercéder pour lui (l’amour du prochain),
- La lettre de Jean nous parle de l’Amour, le thème d’aujourd’hui…
Quinze fois ! Si j’ai bien compté, dans le passage de la lettre de Jean (1Jn 4,7-10) que ns venons d’entendre, on trouve 15 fois le mot « amour ». Aimons, aimez, bien-aimé : 15 fois ! Pourquoi cette insistance ?
Parce que dans la paroisse à laquelle Jean écrit, il y a bel et bien un risque de manque d’amour… Danger de divisions… Des clans, des susceptibilités blessées, des conflits théologiques… sur l’identité du Christ, sur la manière de bien comprendre l’Evangile.
Le Christianisme, religion toute fraîche, connaît déjà des conflits. Dès lors il faut insister : aimez-vs, aimons-ns, vs êtes aimés de Dieu, faites la même chose : aimez !
Oui mais, l’amour est vaste : il y a l’amour amoureux qui n’empêche quand-même pas les disputes, l’amour conjugal souvent orageux, l’amour du prochain, qui n’est pas si proche que ça, et, le plus difficile, le plus exigeant, le plus contradictoire, l’amour de l’ennemi.
Enfin il y a notre amour, l’amour de nous pour nous et l’amour de nous pour Dieu… Mais comment aimer un Dieu qu’on ne voit pas ? Grand débat depuis le début du Christianisme : a-t-on le droit de représenter la Divinité?
Amour de Dieu versus amour du prochain :
Voici une histoire du théologien Gerd Theisen, spécialiste du milieu social et religieux dans lequel Jésus a vécu. Il imagine la scène suivante : « Un homme chargé par Pilate de faire une enquête sur Jésus, dont les agissements inquiètent le pouvoir.
Il rencontre à Nazareth un vieux couple, un couple de vieux parents, aigris. Rien ne va plus ! La situation politique est tendue, la police romaine est partout, le brigandage sévit, la situation économique n’est pas des plus brillantes, le chômage est très répandu. Interrogés par l’enquêteur, ces pauvres vieux déclarent qu’ils n’ont plus aucun appui.
Ils avaient deux enfants, de chics enfants sur lesquels ils comptaient pour leurs vieux jours, l’un se nomme Simon ou Pierre et l’autre André. Et puis un jour » disent-ils « un farfelu, un enfant du village pourtant, qui attend un Royaume à venir, leur dit : « venez, suivez-moi ! » Et ils l’ont suivi. Ils ont aimé Dieu, mais nous, ils nous ont laissé tomber ! »
Je n’invente rien, c’est dans l’évangile de Marc: « Comme Jésus passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, qui jetaient un filet dans la mer, car ils étaient pêcheurs. Aussitôt ils laissèrent leurs filets et le suivirent ! » (Marc 1, 16-18)
Voici une façon étonnante de relire les Ecritures saintes. Il est vrai qu’on s’est très rarement intéressé aux parents des disciples, or ces parents existent… et par extrapolation il y a des parents qui ont certainement des difficultés avec leurs grands enfants… et parmi vous, peut-être aussi avec vos enfants…
L’amour de Dieu mis en balance avec l’amour du prochain, sont d’un équilibre très fragile !
Prenons à présent le cas de Paul, de saint Paul… Il faut rappeler ici que si vous êtes chrétiens aujourd’hui, c’est grâce à lui. Son histoire est racontée dans les Actes des apôtres et surtout nous avons retrouvé ses lettres, ses épîtres, dont celle aux Colossiens.
Paul est passé par Colosses, aujourd’hui en Turquie, environ 25 ans après la crucifixion de Jésus. Il rencontre Philémon, un homme fortuné qui a une grande maison et des esclaves. Son train de vie semble assez considérable ! Touché par la parole des disciples, il adopte la nouvelle religion et reçoit chez lui des chrétiens et des chrétiennes de Colosses. Il se crée ainsi une nouvelle communauté et lui, Philémon, y joue un rôle important.
Philémon, je le disais, possède des esclaves, ce qui, à l’époque, ne posait pas de problème. L’un d’eux se nomme Onésime, c’est son préféré… Il est également touché par la nouvelle religion …
Quelques mois plus tard, les aléas de la vie font que Paul est emprisonné à Ephèse… soit parce qu’il fait un peu trop de propagande chrétienne (prosélytisme) et cela déplait aux Romains, soit les Romains le mettent en prison pour le protéger des rabbins à sa poursuite, qui, comme pour Jésus, veulent le condamner à mort !
Et voilà que Paul reçoit une visite inattendue : Onésime. Il s’est enfui de chez son maître ! Peut-être touché par le message de Paul qui dit : « il n’y a plus esclaves, ni hommes libres… », Onésime est avide de liberté et il a une certaine amitié pour Paul, c’est pourquoi nous avons la lettre à Philémon.
Le drame, c’est que un esclave qui s’enfuit est passible de la peine de mort ! Mais Paul ne va pas le dénoncer aux autorités, non, mais il va renvoyer Onésime chez son maître avec la fameuse lettre. Que dit-il ? Va-t-il encourager Philémon à dénoncer son esclave ? Va-t-il lui dire de le cacher de façon que les autres ne le sachent pas ? Non, il écrit ceci : « Reçois le comme si c’était moi-même, reçois-le comme un frère en Christ, comme un frère dans la foi… »
Autre problème : Comment vont réagir les autres maîtres d’esclaves de Colosses. Si Philémon ne punit pas Onésime, n’encourage-t-il pas la fuite d’autres esclaves… Autrement-dit, s’il aime Onésime, c’est bien, mais ce faisant, IL MANQUE D’AMOUR vis-à-vis de l’amicale des maîtres d’esclaves …
Imaginez la situation: c’est la porte ouverte à la libération de tous les esclaves, c’est inconcevable !
Revenons à Philémon: Il se sait aimé de Dieu, parce qu Paul l’exprime clairement. Par conséquent, il doit aimer son prochain, même si c’est un esclave en fuite…
Que va faire Philémon ? En fait, on ne sait pas et on ne le saura jamais, car nous n’avons pas connaissance d’une éventuelle réponse à Paul de la part de Philémon.
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé », nous dit Christ dans l’Evangile de Jean. Pour nous qui sommes porteurs de la Bonne Nouvelle, nous nous retrouvons dans le même dilemme que tout à l’heure : L’amour de Dieu mis en balance avec l’amour du prochain, sont d’un équilibre très fragile !
Deux remarques pour terminer :
1èrement : II a fallu longtemps, très longtemps pour que les chrétiens abolissent l’esclavage. N’avaient-ils pas compris le message de Paul et de Jean ?
2 ème remarque : je le disais, on ne sait pas ce que Philémon a fait, mais quelques années plus tard, selon des archives retrouvées dans le plus grand cimetière d’anciens parchemins et papyrus dans ce qui reste de la bibliothèque antique d’Alexandrie, on trouve un Onésime qui est devenu Evêque à Antioche de Pisidie aux alentours de +70…
Oui, l’Amour de notre Seigneur est parfois bien mystérieux, mais Il est toujours en activité…
Amen …